À quelques kilomètres de la frontière franco-allemande se trouve Europa-Park, le plus grand parc de loisirs allemand et l’une des destinations touristiques les plus plébiscitées Outre-Rhin. Une gare à l’entrée, une sphère géante, une souris en vedette, des pirates exotiques : pour un habitué des parcs Disney, une visite à Europa-Park pourrait avoir un petit goût de déjà-vu. De l’hommage au copier-coller, il n’y a parfois qu’un pas.
Avant de commencer cet article, je tiens à éclaircir un point : j’adore Europa-Park. Habitant depuis 13 ans à Strasbourg, c’est un peu mon port d’attache et je ne compte plus le nombre d’heures dans ma vie passées sur le Silver Star ou dans la boutique Milka – désormais Lindt – du quartier suisse. Mais comme dans toute relation de longue date, passée l’euphorie du début, j’ai peu à peu pris conscience des défauts que pouvait avoir l’élu de mon cœur parmi lesquels, il faut bien l’admettre, de forts traits de ressemblance avec le royaume d’une autre souris. Parfois assez discrètes, d’autres fois gigantesques ou même carrément grossières, les inspirations prises chez l’oncle d’Amérique émaillent le parc avec plus ou moins de réussite. Rendons donc à Mickey ce qui est à Mickey et partons à la découverte de ces troublantes similitudes.
Avant tout, Europa-Park, c’est quoi ?
Interrogez un Alsacien et il vous dira qu’Europa-Park, c’est l’alpha et l’omega du parc d’attractions. Disneyland ? Connaît pas ! Universal ? Jamais entendu parler. Pour mes compatriotes régionaux, rien au monde ne surpasse le royaume de la famille Mack (les créateurs du parc, nous y reviendrons juste après). Il faut dire que le parc, situé dans la petite ville allemande de Rust, à quelques kilomètres de la frontière, existe depuis 1975 et accueille pas loin de 6 millions de visiteurs par an. Il emploie environ 3 600 collaborateurs (chiffres d’avant la pandémie) dont la moitié traverse chaque jour le Rhin pour venir travailler. Près de soixante attractions dont treize montagnes russes, cinq hôtels, un immense centre de conférences et même, depuis peu, un complexe aquatique : Europa-Park est un mastodonte du divertissement made in Germany. Comme je le disais plus tôt, il a été créé par la famille Mack qui continue de le diriger aujourd’hui et se sert depuis toujours du parc comme d’une vitrine pour son activité d’origine qui est, je vous le donne en mille, la création d’attractions. Bel exemple d’optimisation des ressources ! Au niveau européen, Europa-Park est le deuxième parc de loisirs le plus visité après Disneyland Paris, notamment du fait de sa situation idéale entre France, Allemagne et Suisse. La clientèle francophone est très largement présente à Europa-Park et cela ne devrait pas changer puisque la famille Mack prévoit de faire construire un téléphérique reliant la rive alsacienne directement à l’entrée du parc. Une télécabine dans un parc à thèmes ? Je ne sais pas pourquoi, ça me dit quelque chose…
Bon, maintenant que le cadre est posé, attaquons le vif du sujet !
La famille Mack ne s’en est jamais cachée : avant d’entamer la construction d’Europa-Park, c’est Outre-Atlantique que Roland Mack est allé brainstormer en visitant notamment le Disneyland d’Anaheim. Revenu convaincu du potentiel de ce modèle économique en Europe, il s’inspire alors naturellement de la référence absolue en la matière pour imaginer son propre parc. À l’époque, le Magic Kingdom d’Orlando venait à peine d’ouvrir et l’idée d’un Eurodisney était encore loin de tous les esprits. Il n’y avait donc fondamentalement pas de mal à reprendre certaines recettes ayant fonctionné aux États-Unis en les adaptant au Vieux Continent. Quitte à parfois se contenter d’un simple copier-coller…
Les débuts : de la souris à l’éléphant au milieu de la pièce…
Comme le disait Walt, tout a commencé par une souris et, en l’occurrence, l’histoire d’Europa-Park aussi. Dès l’ouverture en 1975, le parc s’était choisi un petit rongeur pour mascotte. D’abord baptisée Kitty, elle change de nom (et de sexe) suite à un concours organisé en 1977 et devient alors « Euromaus », soit en français « souris européenne » : pourquoi faire compliqué quand on peut faire simple. Pour autant, les Mack se défendent farouchement d’avoir plagié Mickey, arguant leur choix de la souris par le souhait de rendre hommage à un type de manège ayant fait leur succès, la « Wildmaus » (ou souris folle, soit des petits wagons de 4 places qui enchaînent les virages ultra serrés sur une structure de rails très compacte). Mouais… Maintes fois relooké, Euromaus a gagné au cours des années des copains, une nana et même un prénom ! En effet, en 2015, pour les 40 ans du parc, il est devenu « Ed Euromaus », là encore à la suite d’un concours. Mouais (bis)… J’ai du mal à savoir si le public est réellement attaché à la Euromaus (mon fils en tout cas hurle à la mort dès qu’on lui propose de faire une photo avec lui). Aimé ou pas, son image est aujourd’hui indissociable de la communication – un brin kitsch, il faut l’admettre – du parc.
Dans les premières années du parc, nombreux sont les attractions ou éléments de décor inspirés des parcs américains. Dès l’ouverture en 1975, le bateau African Queen reprenait dans un format plus réduit l’esthétique du Mark Twain Riverboat tandis que la Silvestone-Piste copiait le système de guidage sur rails d’Autopia. Trois ans plus tard, c’est la célèbre Jungle Cruise qui se voit reproduite au sein du parc allemand. S’en suivront plus tard d’autres exemples : la montagne russe « Alpenexpress », sorte de mix dans sa thématisation entre Big Thunder Mountain et le Mattehorn d’Anaheim ; « Ciao Bambini » en 1982 (Pinocchio en encore plus flippant) ; la maison hantée en 1987 ; le monorail en 1990… Mais la plus célèbre des imitations reste évidemment « Piraten of Batavia », ouverte en 1982.
Je voudrais m’arrêter un instant sur cette attraction qui, pour une raison que j’ignore, jouit d’une incroyable aura auprès des amoureux du parc. Lorsqu’elle a accidentellement brûlé (sans faire de blessé) en mai 2018, l’émotion que cela a suscité sur les réseaux sociaux, mais aussi chez mes amis et mes collègues de travail, m’a laissée relativement perplexe. Pour moi, non originaire d’Alsace et ayant été davantage à Disneyland Paris qu’à Europa-Park durant mon enfance, cette attraction avait toujours été une pâle copie de « Pirates des Caraibes » et je ne lui trouvais aucun charme. Cela faisait bien longtemps que je n’y avais d’ailleurs plus mis les pieds. Pourtant, elle a clairement marqué les gens et son histoire malheureuse n’a fait qu’accroître son rayonnement. Sa réouverture en 2020, entre deux épisodes de fermeture forcée du parc, a fait les gros titres de la presse régionale. Je n’ai pas testé sa version rénovée mais il paraît qu’elle prend davantage ses distances avec les pirates de Disney et réussit à créer son propre univers. Enfin quand même : ça reste un water ride avec des pirates.
Mais s’il ne fallait en retenir qu’une, cela ne pourrait être que celle-ci. C’est rond, c’est énorme et ça trône en plein milieu : je parle bien sûr du Can Can Coaster – ex Euro Sat – balle de golf géante qui est purement et simplement un copier-coller de la Spaceship Earth d’Epcot. Construite en 1982 pour l’une et 1989 pour l’autre, les deux géodes sont quasiment similaires en tous points extérieurement (à l’exception de l’embase, plus discrète sur la version allemande). À l’intérieur cependant, elles se distinguent plus nettement l’une de l’autre, puisqu’à Europa-Park, la « boule » (comme elle est affectueusement surnommée par tous) abrite une montagne russe là où Spaceship Earth se contente d’un parcours scénique. Dans les deux cas, elles ont depuis été érigées au rang d’emblème de leur parcs respectif. Je dois avouer que je l’aime bien, moi, la boule. Ils la déguisent en citrouille pour Halloween et lui mettent un gros nœud à Noël, elle m’apparaît comme moins « sérieuse » que celle d’Epcot, presque plus conviviale. Et puis elle se trouve en plein milieu du quartier français donc forcément, je suis un peu chauvine.
Depuis les années 90 : l’émancipation
Fin 80/début 90, les choses commencent sérieusement à bouger dans l’univers des parcs de loisirs. Walibi (Belgique), Efteling (Pays-Bas) ou bien encore Gardaland (Italie) voient leur fréquentation augmenter tandis qu’en France, le Futuroscope, le Parc Astérix ou bien encore feu Big Bang Schtroumpf ouvrent leurs portes entre 1987 et 1989. Sans compter qu’une certaine souris s’apprête elle aussi à poser ses valises du côté de Marne-la-Vallée… Avec l’arrivée imminente d’un parc Disney sur le territoire européen, Europa-Park a bien conscience du fait qu’il va falloir se démarquer pour ne pas se faire gober tout rond par l’ogre américain.
Avec deux millions de visiteurs par an en 1991, la famille Mack peut se permettre d’investir massivement dans le développement du parc. Si elle veut espérer pouvoir concurrencer Disney, il lui faut passer de parc de loisirs local à véritable destination touristique. C’est ainsi qu’ouvre en 1995 le « El Andaluz », premier hôtel de ce qui deviendra au fil des années un véritable resort. Parallèlement, les dirigeants constatent le succès grandissant de ses attractions à sensation et entrevoient là une possibilité de se différencier d’Eurodisney, qui ne compte à l’ouverture qu’une seule et unique montagne russe. En 1997, Euromir ouvre donc ses portes en reprenant une nouvelle fois le thème de l’espace déjà présent dans l’Eurosat. Une montagne russe dans l’univers spatial ? On se demande bien où ils vont chercher tout ça ! Suivront le Matterhorn Blitz (!) en 1999 et le water ride Poséidon en 2000. N’oublions surtout pas, en 2002, le Silver Star, monstre d’acier culminant à 78m de haut et dont le manque de thématisation et un emplacement partiellement sur le parking du parc. Ce n’est pas sans rappeler le modus operandi d’un autre géant de l’Entertainment américain, Six Flags. Plusieurs autres grosses machines viendront compléter l’offre du parc au cours des deux décennies suivantes.
En 2017, Europa-Park annonce à grands renforts de communications l’ouverture de son premier flying theater baptisé « Voletarium ». Pour cette nouvelle attraction, qui se veut la plus grande de ce type en Europe, le parc retombe pourtant dans ses vieux travers en reprenant quasiment à l’identique le concept de « Soarin’ », dont la première version a ouvert en Californie plus de quinze ans auparavant : un survol de plusieurs pays et villes emblématiques finissant par une arrivée sur le parc avec feu d’artifice et agrémenté de jets d’air et de diffusion d’odeurs liées aux lieux traversés. Il est marrant de constater que quand l’attraction a ouvert, la plupart des visiteurs d’Europa-Park croyait qu’il s’agissait là d’une première mondiale !
On sent qu’Europa-Park est en recherche d’identité, perdu entre le besoin de répondre à la demande croissante en sensations fortes et l’envie de demeurer un parc à thèmes et non un simple parking à coasters. Pourtant, le parc explose chaque année son record de fréquentation et son succès dépasse désormais largement les frontières de l’Allemagne et de l’Alsace limitrophe. Là où Disneyland Paris patauge entre problèmes de gestion, difficultés financières et restrictions budgétaires, la famille Mack ne cesse de réinvestir dans son outil et commence à faire sérieusement de l’ombre au parc parisien. Elle vient d’ailleurs d’ouvrir son sixième hôtel et son premier complexe aquatique, se rapprochant sans cesse davantage d’un modèle à la Disney World (la taille et le climat en moins).
Et donc, simple inspiration ou copie conforme?
Du point de vue du fan Disney, la question ne fait pas débat : oui, bien entendu, Europa-Park a tout pompé sur Disney et la famille Mack mériterait de finir la tête sur un piquet à l’entrée d’Anaheim façon Papa Stark. J’avoue que même moi qui apprécie énormément le parc, il m’est arrivée de me sentir gênée face à l’évidence de certaines inspirations. Il me semble cependant qu’il faille enlever l’espace d’un instant nos lunettes de fan pour envisager la question de manière réaliste. Qu’on ait ou non envie de l’entendre, un parc d’attractions est une entreprise, basée sur un modèle économique. Il se trouve que c’est Walt Disney qui a inventé le concept du parc à thèmes, du moins dans sa version moderne. Personne n’en veut à Leclerc d’avoir copié le concept d’hypermarché initié par Carrefour; personne ne trouve anormal que le Smartphone né avec l’IPhone d’Apple soit aujourd’hui décliné par une multitude de marques. N’est-ce pas tout simplement comme ça que le monde fonctionne ? Quelqu’un a une bonne idée et d’autres la reprennent à leur compte, la font évoluer, la transforment, avec plus ou moins de succès selon le cas. Mais il est normal qu’un modèle économique qui fonctionne – et qui, il faut le rappeler, était le seul connu à l’époque – serve de base à d’autres projets similaires. Souvenons-nous aussi qu’on parle d’une époque où les voyages transcontinentaux étaient encore plus rares qu’aujourd’hui. L’Amérique, c’est loin, et je ne pense pas que le quidam allemand de base du début des seventies ait même un jour entendu parler de Disneyland, surtout à une époque où le rideau de fer était toujours là! Lorsque la famille Mack lui a proposé Europa-Park en 75, le concept était méconnu pour lui comme pour la quasi-totalité du public européen. Partant de là, peut-on vraiment leur en vouloir de s’être inspirés de ce qui était alors la seule valeur sûre ? D’autant qu’on était loin d’imaginer que le château de la Belle au Bois dormant pointerait un jour son nez sur le Vieux Continent. Et même encore aujourd’hui, alors que Disneyland Paris fêtera bientôt ses 30 ans, la relative pauvreté de l’offre du parc comparée à celles de ses aînés américains laisse les coudées libres à ses concurrents pour reprendre à leur compte des attractions qui ont peu de chances d’arriver un jour à DLP comme “Soarin’” par exemple. Si on décide que tout ce que Disney a déjà fait est chasse gardée pour les autres, on risque de ne plus trouver grand-chose dans les autres parcs ! Et puis n’oublions pas non plus que notre souris préférée n’est pas la dernière quand il s’agit de copier ce qui fonctionne : Avatar ou Galaxy’s Edge n’auraient par exemple jamais vu le jour si un certain sorcier n’avait pas posé ses bagages chez le voisin d’en face… Et puis, qui sait, si ça se trouve, Disney a eu l’idée d’adapter la Reine des Neiges en faisant “Schlittenfahrt Schneeflöcken” à Europa-Park (ceci est une blague).
En résumé, oui, bien sûr qu’Europa-Park s’est inspiré de Disneyland. Tout comme Disneyland s’est inspiré de Tivoli Gardens ou même d’Efteling. Les grands gagnants dans tout cela, c’est nous, visiteurs, qui pouvons visiter des parcs merveilleux partout dans le monde qui rivalisent d’ingéniosité pour faire toujours mieux que leur prédécesseur. Je dirais même que si la concurrence d’autres gros parcs européens a conduit DLP à enfin sortir de sa torpeur et à se lancer dans la refonte des Studios, je ne peux que m’en réjouir. Si des petits parcs comme Nigloland ou Phantasialand ont envie de venir challenger les mastodontes en investissant massivement, c’est tout bénéf’ pour nous. Après une année 2020 bien pourrie, on a bien besoin de magie. Et plus il y en a, mieux c’est, non ?