Tout le monde connait Peter Pan, ce personnage Disney amusant, sympathique et teinté d’innocence. Mais peu connaissent le véritable Peter Pan, celui sorti de l’imaginaire de James Matthew Barrie. Un personnage bien plus sombre et cruel, que Barrie ne cessera d’écrire et de réécrire.
Situons-le d’abord dans le temps. Peter Pan fait sa première apparition en 1902 dans le livre The Little White Bird (Le Petit Oiseau Blanc). Barrie le met ensuite en scène dans sa pièce de théâtre intitulée Peter Pan or The Boy Who Wouldn’t Grow Up (Peter Pan ou Le Garçon Qui Ne Voulait Pas Grandir) en 1904. Celle-ci est un véritable succès. Si bien que la pièce ne quittera plus les scènes anglaises de son vivant. Elle remportera également un véritable triomphe au États-Unis. Il choisit alors de l’adapter en roman en 1911, sous le titre de Peter Pan and Wendy.
Peter Pan, c’est tout d’abord l’histoire d’un enfant qui ne veut pas grandir et qui entraîne Wendy et ses frères vers le pays de « Neverland ». Une île où se croisent fées, sirènes, et enfants perdus, et où de courageux indiens affrontent de sanguinaires pirates.
Mais voilà, derrière ce résumé se cache une toute autre histoire, bien loin de l’adaptation joyeuse et insouciante de Walt Disney avec son « pays imaginaire » où l’on vit de formidables aventures. Une histoire bien moins merveilleuse et plus tragique; celle de son auteur.
Pour comprendre le personnage de Peter Pan et ses origines, il faut se plonger dans la vie de Barrie. Et tout commence par un drame. James Matthew Barrie perd à l’âge de 7 ans son frère aîné, David, victime d’un terrible accident. Il était le fils préféré de sa mère. Derrière la porte close de la chambre de sa maman, endeuillée et dépressive, le petit James décide alors de prendre la place de ce frère qui ne pourra pas grandir. Il se met alors à porter ses vêtements et va jusqu’à imiter sa voix. On raconte même que des médecins lui diagnostiquent un arrêt de croissance, comme bloqué dans la vie de David. L’enfant qui ne veut pas (ou ne peut pas) grandir a depuis reçu un nom : le syndrome de Peter Pan.
Wendy « Si vous saviez à quel point l’amour d’une mère est grand (…) la mère laisserait toujours la fenêtre ouverte pour que ses enfants puissent entrer »
Peter « Tu te trompes au sujet des mères (…) il y a longtemps, dit-il, j’ai cru, comme toi, que ma mère laisserait toujours la fenêtre ouverte pour moi. Je suis donc parti pendant des lunes et des lunes. Mais lorsque je suis revenu, il y avait des barreaux à la fenêtre : ma mère avait tout oublié de mon existence et un autre petit garçon dormait dans mon lit. »
« Pan, qui es-tu ? Ou qu’es-tu donc ? »
À cette question simple du capitaine Crochet, Peter répondit au hasard « je suis la jeunesse, je suis la joie. Je suis le petit oiseau qui sort de l’œuf. » Avec ces mots Crochet comprit qu’il ne le savait pas lui-même. Et c’est là toute la complexité du personnage de Peter Pan.
« Tous les enfants grandissent, sauf un. » Le roman débute sur ces quelques mots. Parce que l’histoire est tout d’abord celle d’un enfant qui ne grandit pas et qui récupère les enfants abandonnés, niés ou morts tombés de leurs berceaux. Il les amène ensuite à « Neverland », littéralement le pays de jamais, et devient leur capitaine.
« – Qui sont les enfants perdus ?
-Des enfants tombés du landau (…) »
Il est lui-même très certainement l’un de ces enfants décédés à son plus jeune âge.
« Wendy (…) demanda à Peter quel âge il avait. (…)
-Je ne sais pas, répondit Peter (…)
-Je me suis enfui le jour de ma naissance. »
La mort est d’ailleurs omniprésente dans le roman. Peter Pan s’en amuse, joue avec et ne se soucie guère de la vie des personnes qui l’entourent.
« Il régnait un silence de mort.
Donc tout allait bien »
« La mort va être une aventure grandiose »
Il est un garçon crâneur, égoïste et meurtrier. D’ailleurs, tout le monde tue très facilement dans le roman et Peter ne se gêne pas pour le faire quand quelque chose ne lui convient pas. Au-delà de tuer des pirates, il élimine également les enfants perdus quand ils grandissent.
« -Et tu en tues beaucoup (des pirates)
-Des tonnes. »
« Le nombre de garçons ne cesse de varier sur l’île : il leur arrive de se faire tuer, par exemple. Et quand il apparaît qu’ils se mettent à grandir, chose contraire à toutes les règles, Peter éclaircit les rangs »
Peter voue aussi une haine profonde aux adultes. Pour lui, ils gâchent toujours tout, et il en éprouve une rage profonde. Une maxime du “pays de jamais” raconte qu’à chaque respiration, un adulte meurt. Et Peter se met par vengeance à respirer rapidement pour en tuer le plus possible.
Une histoire d’oubli et de temps qui passe
C’est l’autre grand thème du roman. Peter Pan oublie systématiquement tout ce qui se passe et toutes les personnes qui l’entourent. Il ne se souvient plus successivement de Wendy, des enfants perdus, de Clochette, du capitaine Crochet et de toutes ses différentes aventures. Les enfants perdus ne sont pas en reste, ils oublient également leurs parents, et c’est d’ailleurs ce qui effraie Wendy et la pousse à revenir chez elle. A Neverland, le seul qui résiste à l’oubli est James Crochet. Il se souvient de sa mère, de sa vie d’avant et des bonnes manières.
On peut interpréter cette notion de mémoire comme un reflet du passage de l’enfance à l’âge adulte. On efface un état pour un autre. Qui se souvient exactement des moments vécus étant enfant ? On a des bribes, comme ça, éparpillés dans notre mémoire et pas forcément fidèles à la réalité.
« -John, répondit Wendy, hésitante, peut-être qu’on ne se souvient pas de notre ancienne vie aussi bien qu’on le croyait »
L’adaptation made in Disney
Après avoir lu tout ça, vous me direz: mais que reste-t-il du roman dans l’adaptation de notre ami Walt ?
Je dirais l’aventure ! Peter Pan, et dans une moindre mesure Clochette, sont les personnages qui ont été les plus retouchés par les scénaristes du dessin animé. Il ne faut pas oublier que les films d’animations Disney sont avant tout destinés à un public familial et de ce fait, ils en ont fait une version plus légère, plus édulcorée. James Matthew Barrie a d’ailleurs lui-même décidé d’alléger son texte pour différentes adaptations, des comédies musicales notamment.
Walt Disney a tiré le roman tragique de Barry vers un côté joyeux et léger, plus en adéquation avec l’image du studio.
Alors sinon, à quel âge peut-on lire ce roman ? Et bien, je dirai qu’il n’y a pas d’âge pour découvrir ce classique de la littérature. A l’image de nombreuses œuvres de fiction, ce qu’on en ressort dépendra de la maturité du lecteur. On peut seulement se contenter de s’envoler vers le pays imaginaire et de vivre les péripéties de Peter et Wendy, ou plonger également dans la complexité des personnages et les traumatismes qui les rongent.
Pour conclure, à la question “mais qui est Peter Pan ?”, le mieux est de finalement laisser à l’auteur le soin de répondre lui-même :
« De Peter, vous penserez bien ce que vous voulez… Peut-être était-il un garçon qui mourut jeune et c’est ainsi que l’auteur imagine ses aventures ultérieures. Ou peut-être était-il un garçon qui ne naquit jamais, un garçon dont se languirent certaines personnes, mais qui, jamais, ne vint — il se peut que ces personnes-là entendent plus clairement Peter à la fenêtre que les enfants eux-mêmes. »
Sources :
Roman :
Peter Pan de James Matthew Barrie, aux éditions L’école des loisirs.
Sites web :
Wikipédia Peter Pan https://fr.wikipedia.org/wiki/Peter_Pan
Wikipédia J. M. Barrie https://fr.wikipedia.org/wiki/J._M._Barrie
France Culture La sombre histoire de Peter Pan https://www.franceculture.fr/litterature/la-sombre-histoire-de-peter-pan
Livre Audio :
France culture Peter Pan lu par Claude Rich https://www.franceculture.fr/emissions/les-nuits-de-france-culture/peter-pan-110-peter-pan-lu-par-claude-rich
Emissions radio
France culture Peter Pan ou le garçon qui ne grandissait pas
https://www.franceculture.fr/emissions/fictions-theatre-et-cie/peter-pan-ou-le-garcon-qui-ne-grandissait-pas-0
France Inter Barbatruc : Les ombres de Peter Pan
https://www.franceinter.fr/emissions/barbatruc/barbatruc-14-fevrier-2021